Et mes croyances sur l’art, et plus spécialement sur la peinture, changent lors de ma rencontre avec lui, un jour de 1998.
Je souhaite évoquer les découvertes d’Arno Stern, pédagogue et pionnier de l’éducation créatrice, qui s’est éteint récemment. J’ai eu le privilège de le connaître et de me former avec lui sur une longue période, jusqu’en 2007, au Closlieu, d’abord à la Rue de Castellane (Paris 8), puis à la Rue Falguière (Paris 15) après son déménagement. Les innombrables heures passées à pratiquer le jeu de peindre avec lui et les autres au sein de son atelier, nommé Closlieu, restent gravées dans ma mémoire comme une expérience importante. Cette immersion a non seulement développé en moi des forces créatrices insoupçonnées, mais elle m’a aussi permis de guider de façon personnelle mes propres élèves dans l’éducation créatrice.
Qui il était
Arno Stern était un pionnier dans le domaine de l’éducation artistique, qu’il définissait comme l’éducation créatrice. Ses travaux ont révolutionné notre compréhension de l’expression artistique, montrant que la créativité n’a pas besoin d’être dirigée mais libérée. Stern a observé, compris et promu ce qu’il appelait la « grammaire de l’art enfantin » – une langue universelle de signes que tous les enfants, quel que soit leur contexte culturel, peuvent parler. – Au fil du temps, Stern abandonne le terme « art enfantin », qu’il trouvait trop réducteur pour sa démarche de « peinture libre ». –
Pourquoi il crée un atelier pour enfants
Arno Stern débute ses ateliers en 1945 au sein d’une maison pour orphelins de guerre (OSE). Chargé d’occuper les enfants, il les encourage à peindre et à choisir librement leurs sujets. C’est ainsi qu’il découvre la magie de la peinture sans modèle et ses effets spectaculaires sur grands formats, témoins d’un véritable foisonnement de liberté. De cette expérience est né l’atelier pour enfants, d’abord nommé ‘Académie du jeudi’ en référence aux jours de repos scolaire des enfants, puis rebaptisé ‘Closlieu’. Ce lieu reflétait son désir de créer un espace où les enfants pouvaient s’exprimer librement, sans la pression de la performance ou du jugement. Émerveillé par leurs œuvres, qu’il collectionnait pour ses recherches, Arno Stern observait que l’environnement sécurisé et sans contrainte permettait à l’enfant de se réaliser pleinement, offrant ainsi à des générations d’enfants la joie pure de la peinture.
L’élargissement à l’expression adulte
Sur la base de ses découvertes, Arno Stern étend ses travaux pour inclure l’expression artistique des adultes. Il montre que les principes de liberté et d’absence de jugement, appliqués avec succès aux enfants, peut également aider les adultes à retrouver leur créativité innée. Stern a eu l’occasion de vérifier ses observations sur l’existence de signes universels lors de voyages auprès de populations non scolarisées, confirmant la présence de traces et images communes dans l’expression artistique humaine. Il nomme cela La Formulation, et crée un nouveau champ de recherche : la sémiologie de l’expression.
Cette découverte a ouvert de nouvelles perspectives dans le domaine de la création. Elle a été intégrée dans des hôpitaux et autres institutions, démontrant que la peinture peut être un outil puissant d’éxpression de soi à tout âge et offrir une forme de guérison. Stern refusait de jeter des ponts entre son travail et l’art-thérapie. Il affirmait que, bien au-delà de la thérapie, le Jeu de peindre permettait de développer des capacités insoupçonnées, révélant ainsi le potentiel créatif inhérent à chaque individu.
Mon travail inspiré par Arno Stern
Malgré nos points de divergence, notamment sur le fait qu’Arno Stern ne remettait jamais les tableaux à leurs auteurs, j’ai conscience de l’impact significatif que le « maître » a eu sur ma vision de la peinture libre et de l’éducation en général. Mon intérêt sincère pour son travail m’a poussé à initier en 2008 le collectif Geste de Peindre, cinq ateliers inspirés de la pédagogie d’Arno Stern, afin de promouvoir cette pratique auprès de la presse. Depuis lors, j’ai formé de nombreuses personnes en m’appuyant sur l’enseignement d’Arno Stern, en me référant à ses inspirateurs ainsi qu’à ma propre expérience de praticienne et de formatrice.
Un enseignement qui perdure
Mes deux enfants ont eu le bonheur de peindre avec moi au Closlieu lorsqu’ils étaient petits, et j’ai vu de mes propres yeux la puissance libératrice de cette approche artistique différente. Aujourd’hui, je continue de promouvoir et de dispenser une pratique de la peinture spontanée et autonome, émanant du jeu de peindre, bien que j’y aie apporté mes propres modifications. Je me réfère toujours sur ce que Stern a découvert en termes de grammaire de l’art enfantin et de sémiologie de l’expression, car ces principes restent une source inépuisable de réflexion et de recherches.
Impact culturel et international
Les idées novatrices d’Arno Stern ont eu un impact à l’échelle internationale, influençant divers pays et cultures. En Allemagne, son approche a été intégrée avec succès dans des mouvements de non-scolarisation et des initiatives éducatives alternatives. En Italie, son influence s’est manifestée dans des ateliers où l’accent est mis sur l’expression personnelle et la découverte de soi à travers l’art. Ces adaptations locales ont enrichi la proposition en matière d’ateliers artistiques, tout en préservant l’essence universelle de la démarche d’Arno Stern. Ajoutons à cela ses interventions dans des universités, notamment à la Sorbonne, où il a été invité à partager son oeuvre et à introduire la sémiologie de l’expression.
Les traces sur les murs de l’Atelier de Charenton
Promouvoir une approche de la peinture aussi libératrice n’a pas été sans obstacles. Lors de la création de l’Atelier de Charenton, j’ai dû surmonter des résistances importantes, notamment de la part de ceux attachés à des méthodes plus traditionnelles ou sceptiques quant à l’efficacité d’un atelier de peinture sans directive. Ces défis ont renforcé mes convictions et mon plaisir à partager cette pratique. Ils m’ont aussi aidée à développer des compétences en communication et en plaidoyer. Grâce à des discussions ouvertes et des démonstrations concrètes, j’ai pu gagner la confiance des parents, des élus de ma commune, ainsi que de l’école Montessori.
Innovation continue
Pour rendre l’approche d’Arno Stern pertinente dans mon contexte spécifique à Charenton-le-Pont, j’ai introduit des ajustements qui ont été bien accueillis par les participants et les parents. Par exemple, j’ai adapté les techniques d’accompagnement en utilisant des pratiques de développement personnel (CNV, Carl Rogers) pour répondre aux besoins des adultes, en remettant les travaux aux participants en fin d’année et en intégrant des ateliers de terre crue. J’ai également organisé une exposition de tableaux d’enfants et de créations libres pour atteindre un public plus large, élargissant ainsi l’accessibilité et l’attrait de cette pratique.
Puis, pour asseoir la peinture comme une méthode, au-delà d’une simple pratique ou d’un jeu, j’ai écrit le livre « Le Geste de peindre ». Cet ouvrage a permis de formaliser et de partager mon travail à l’Atelier de Charenton, d’ouvrir à un public plus large, et de donner un autre point de vue que celui de Stern.
Chemin et transmission
Les témoignages de praticiens et d’éducateurs influencés par le jeu de peindre et le geste de peindre sont nombreux, chacun apportant sa propre interprétation et originalité à son atelier. Ces personnes tracent leur propre voie à travers des initiatives innovantes et des pratiques éducatives qui embrassent la liberté créative et l’expression personnelle. Leur adhésion met en lumière la valeur des ateliers d’expression par la peinture et son potentiel transformateur pour les enfants et les adultes.
En conclusion
Arno Stern nous laisse un héritage précieux avec sa vision de l’art enfantin, qui épanouit petits et grands. Sa déclaration, « La peinture appartient aux artistes, le jeu de peindre appartient à tous les autres », résonne profondément dans son œuvre. Sa démarche, fondée sur le respect de l’expression individuelle et la libération de la créativité au sein du collectif, laisse une empreinte durable.
Je reconnais l’impact original de ses découvertes dans l’art et l’éducation. À l’Atelier de Charenton, j’ai intégré ses fondements tout en y ajoutant ma touche personnelle et mon expérience. Mes ateliers sont conçus pour répondre aux attentes actuelles et sont ouverts à ceux qui souhaitent explorer la peinture libre, se former, ou en savoir plus sur cette pratique et ma méthode.
Un vocabulaire dédié à l’activité créatrice
Au fil de ses soixante-dix années de recherche, Arno Stern a défini un vocabulaire propre à l’activité qu’il a créée :
- Animateur : praticien servant du jeu de peindre
- Atelier : Closlieu
- Table-Palette : palette de peinture collective
- Créativité : créer son monde
- Éducation artistique : éducation créatrice
- Gribouillis : giroulis, punctilis, traces
- Langage plastique : jeu de peindre
- Grammaire de l’art enfantin : formulation ou sémiologie de l’expression
- Méthode : pratique
- Peinture libre : expression par la peinture
- Production, création : peinture, tableaux
Dossier de presse
L’ouvrage collectif Les Ateliers du Geste de peindre : cinq ateliers inspirés de la pédagogie d’Arno Stern. Extrait du dossier de presse – 2008.
Chacun est capable – tel le petit enfant – de s’adonner à ce jeu lorsqu’il se déroule dans un espace mis au point à cet effet. Cet espace est le Closlieu.
Du jeu dans le Closlieu ne résultent pas des oeuvres regardées par d’autres et faites pour véhiculer un message, mais une trace sur la feuille dont l’émergence, à elle seule, apporte un entier plaisir à celui qui la laisse se produire.