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A l’occasion de la réalisation de leur dossier du mois sur la créativité, la maison d’édition Nathan me demande d’expliquer la démarche de l’Atelier de Charenton.
Par des questions / réponses, je tente donc, d’expliquer l’apport du non jugement sur les dessins des enfants, son impact bénéfique sur la créativité des enfants.
Dans cet article, je donne aussi des conseils simples aux parents, pour les inviter à laisser l’enfant libre de peindre ce qu’il veut, tout en l’entourant de bienveillance.
Merci aux éditions Nathan !
Pour lire l’article REGARDER AUTREMENT SES DESSINS, paru aux éditions Nathan en 2012, vous pouvez suivre ce lien http://www.grandiravecnathan.com/dossier-du-mois.html
Retranscription de l’article REGARDER AUTREMENT SES DESSINS (éditions Nathan).
On a vite fait de cataloguer un enfant… « doué pour les maths ou pour la lecture », « pas fait pour le sport mais curieux… ». Dans un domaine pourtant, les enfants sont tous égaux : le dessin « libre ». Sans les juger, sans les orienter, ni les guider, suggérez-leur de dessiner. Simplement avec respect. C’est le meilleur moyen de leur donner confiance en eux.
Un crayon à la main
Nous pouvons dire que l’activité graphique est propre à tout être humain, comme si nous étions « programmés » pour laisser des traces. Le premier âge pour commencer à laisser une trace sur une feuille en utilisant un outil se situe autour de 18 mois. Muni d’un crayon, l’enfant va se mettre à faire des mouvements circulaires ou à taper avec la pointe.
Dès cet instant-là, le tout-petit n’a pas besoin d’un adulte pour lui montrer comment et quoi faire : son acte est spontané. L’enfant donne toute son énergie : il arrive souvent que le stylo troue le papier et il y prend beaucoup de plaisir !
Respecter ses choix
Il est tentant de s’immiscer dans l’univers graphique de l’enfant, de lui poser des questions, de se livrer à des analyses, d’avancer des interprétations… « Pourquoi as-tu dessiné de la pluie ? » « Pourquoi ton bonhomme a-t-il des soleils à la place des mains ? »
Comme l’enfant aime faire plaisir à l’adulte, il va commenter son dessin… sortir de son espace intime, celui de son expression, et être amené à douter.
En vérité, l’enfant n’a pas toujours l’idée de représenter quelque chose. Au départ, sa main va tracer des petits traits, et c’est après coup seulement qu’il va leur donner une interprétation, comme une justification nécessaire à son histoire imaginaire ou auprès de l’adulte. Et comme le geste lui plaît, il va répéter les petits traits. C’est pourquoi on voit souvent les mêmes formes revenir sur les dessins d’enfants. Il arrive aussi que l’enfant éprouve le besoin de raconter une histoire en dessinant. Dans ce cas, laissez libre cours à son processus narratif et créatif. Soyez simplement présent et attentif, sans intervenir, sans l’interrompre par vos questions.
Comment se construit un dessin d’enfant ?
L’enfant dispose d’un répertoire de formes – des formes « premières » : des ronds et des traits – qu’il s’amuse à combiner dans tous les sens. Il ouvre en quelque sorte des tiroirs et y puise des éléments qui vont lui permettre d’élaborer son dessin-jeu.
Un rond, un trait, et deux traits en forme de V… il crée une fleur. Inutile d’apprendre à l’enfant les formes premières, elles viennent naturellement.
Par la suite, l’enfant enrichit son « vocabulaire graphique » en s’amusant et en découvrant par lui-même un grand nombre de combinaisons. Plus tard, il sera capable d’inventer des scénettes de plus en plus ingénieuses avec ses crayons ou ses pinceaux.
L’enfant s’exprime en fonction de son corps : observez les maisons aux cheminées penchées, des grands chemins qui sortent des portes, les personnages traversés par une ligne (de boutons), les croix dans les fenêtres, les immeubles et les arbres étalés le long des routes. Il est important de respecter les inclinaisons, sans chercher à y mettre de la logique.
Doit-on lui apprendre à dessiner ?
Les librairies sont pleines de méthodes de dessins pour les enfants…
Prenons par exemple la maison, image emblématique du dessin d’enfant. Il existe des modèles quadrillés pour apprendre à en dessiner une « aux normes ». Si l’on veut aller vite et obtenir un résultat « normé », c’est un moyen efficace. Mais on passe à côté de l’essentiel : car un dessin n’est pas un exercice de mathématiques, c’est une aventure.
A contrario, quand l’enfant découvre que le triangle et le carré font la maison, c’est constructif, et jubilatoire. Il expérimente, découvre : « Je l’ai trouvé tout seul ! » C’est comme cela qu’il va développer, en grandissant, une confiance en ce qu’il est, en ce qu’il fait.
Accompagner son enfant à vivre l’aventure du dessin « libre » ne signifie pas l’abandonner. Le parent a tout à gagner en jouant le rôle d’un observateur bienveillant. C’est une belle relation de respect et d’encouragement, silencieuse.
Donner son avis ?
Le mieux est de ne pas porter de jugement sur ce que fait l’enfant. Car, qu’il soit négatif ou positif, le jugement est enfermant, il étouffe la créativité.
Et l’enfant risque se mettre dans une logique de compétition : sa prochaine oeuvre devra être encore plus réussie à vos yeux.
Doit-on pour autant rester muet ? On pourrait… Toutefois, cela demande une pratique intense de « non-jugement ». Pour vous aider à sortir du jugement, intéressez-vous à l’oeuvre elle-même, ses détails, les différentes techniques utilisées : « Comment l’as-tu fait ? » « Avec quoi ? » «Tu as dû en mettre du temps… »
L’enfant est content que son parent s’intéresse à son travail créatif. Vous valorisez davantage sa démarche que le résultat : l’enfant est plus important que ce qu’il produit…
Mais ne vous interdisez pas pour autant tout compliment ! Lorsque l’enfant fait un dessin pour vous l’offrir ou pour un tiers, il fait plaisir, il fait un cadeau. Il reçoit alors une appréciation, un compliment. C’est un aspect du dessin que l’on peut nommer le « dessin-échange». Il est parfois nécessaire à l’enfant.
La confiance par le dessin
De nombreux adultes reconnaissent qu’ils n’osent plus dessiner parce qu’on leur a trop souvent fait des remarques négatives pendant leur enfance.
Quand l’enfant veut réaliser un dessin trop difficile, souvent inspiré de modèles ou imposé par un programme, et qu’il n’y parvient pas, il peut s’énerver, se bloquer, éprouver un sentiment d’échec : « Je n’y arrive pas », « ça ne ressemble pas au modèle… ». L’enfant est perdu entre des idées extérieures et sa capacité réelle. Et quand il a été comparé au petit copain ou à la grande soeur qui « sait bien dessiner », la feuille blanche devient intimidante.
L’enfant a le temps de savoir représenter… et il y arrivera d’autant mieux plus tard s’il a la possibilité de s’exprimer librement lorsqu’il est petit. Il s’habitue à créer ses propres images. Explorer la peinture, les crayons, les pastels devient alors une source de plaisir. C’est aussi l’un des meilleurs moyens de se construire une bonne estime de soi.
Aujourd’hui, l’école privilégie le travail intellectuel et la performance. De plus en plus d’enfants sont en état de stress. Même la créativité devient un enjeu de réussite. Résistons à cette tendance : la créativité doit rester, et c’est immense, un moyen vital d’expression.
4 règles d’or
• Savoir représenter une pomme n’a jamais donné confiance en soi.
• La créativité est un fruit : en la laissant mûrir, l’adulte fait confiance au cheminement de l’enfant, qui se fait alors confiance.
• On ne compare ni les dessins, ni les enfants. Chaque individu est unique.
• L’enfant sait très bien comment devenir heureux avec un crayon ou un pinceau dans la main, avec un adulte bienveillant à ses côtés.
Historique des éditions Nathan
Les débuts (1881-1914)
Fernand Cahan, dit « Nathan » (1858-1947) est issu d’une famille juive républicaine. Il est le fils de Charles Cahen, dit Nathan, marchand de chevaux. Sa mère Laure Lipmann était issue d’une famille aisée, descendant au début du xviiie siècle de Raphaël Lipmann qui était banquier en Alsace, fournisseur de la cour seigneuriale du comte de Hanau-Lichtenberg à Bouxwiller.
Employé depuis 1875 à Paris chez Charles Delagrave, un éditeur d’ouvrages scolaires, Fernand Nathan crée à l’âge de 23 ans, grâce à de l’argent que lui avancent ses parents, et en association avec Jean-Baptiste Fauvé (1834-1893), la Librairie classique Nicolas Fauvé et Fernand Nathan, au 16, rue de Condé, dans le 6ème arrondissement. Le développement de son activité d’édition va de pair avec la promulgation des lois scolaires dites de « Jules Ferry » (1881-1882) qui représente le progrès des valeurs démocratiques de l’époque, puis un peu plus tard de la laïcisation de l’enseignement scolaire consécutif à la loi Combe et à l’éviction des congrégations enseignantes catholiques.
Source Wikipédia.
Dossier réalisé par Sandrine Sananès, créatrice de L’Atelier de Charenton, école nouvelle de peinture http://www.latelierdecharenton.com
Sandrine Sananès est animatrice et formatrice, spécialisée dans la créativité, l’expression et la confiance en soi de l’enfant.
Elle accompagne de nombreux enfants et adolescents pour des cours de peinture libre dans son atelier à Charenton avec la méthode du Geste de peindre®. Elle intervient auprès d’une école d’éducateurs de jeunes enfants et du centre de formation de la psychologue Isabelle Filliozat pour montrer l’impact de l’expression spontanée et du non-jugement sur le développement de l’enfant.
(photos © Larisa Lofitskaya / Serhiy Kobyakov / Eva Vargyasi / kaarsten / Shutterstock.com)